Suicide : ils témoignent
Tous ont eu un jour envie de se suicider, d’en finir surtout avec leurs souffrances. Certains sont passés à l’acte, d’autres étaient à deux doigts de sombrer. Aujourd’hui, certains luttent encore pour ne pas lâcher prise mais tous ont retrouvé le désir de vivre. Témoignages de huit psychonautes.
Marjorie LenhardtSommaire
- Aipec : « Les mots de mon ami m’ont aidée »
- Jennyrebecca : « J’ai pris de la distance par rapport à mon traumatisme »
- Patricia : « Mon mari et mes enfants m’ont donné l’envie de guérir »
- Ignorante : « Je me reconstruis avec mon psychiatre »
- Jeanine33 : « Je ne recommencerai pas par égard pour ma famille qui m’aime et que j’aime »
- Kattia : « L’amour de ma mère me retient »
- Kikou46 : « Je m’occupe avec quelqu’un pour me changer les idées »
- Tempusfugit : « Le respect de Dieu m’a freinée »
Aipec : « Les mots de mon ami m’ont aidée »
Je sors de dix ans de harcèlement moral de la part de mon ex-mari. Les cinq dernières années ont été particulièrement difficiles. Le quotidien était fait de brimades. J’étais constamment rabaissée, humiliée, trompée. Détruite. Le pire, c’était que je ne m’en rendais pas compte, je trouvais qu’il avait raison : je n’étais pas assez jolie, pas assez intelligente…
J’ai fini par vomir du sang et perdre mes cheveux. Je voulais comprendre pourquoi il me faisait ça… Le psy s’est contenté de dire qu’il n’y avait rien à comprendre, que c’était lui le malade, pas moi ! De nombreuses fois, je me suis retrouvée au bord de la falaise. Je voulais en finir. J’ai pourtant 3 enfants superbes, mais cela ne me retenait pas.
Heureusement, j’ai un ange gardien. Un ami qui était toujours disponible quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit. Quand je l’appelais, désespérée, il savait toujours trouver les mots. « Ne fais pas ça, tu ne ferais que lui rendre service, il serait trop content d’être débarrassé de toi ». Ces mots m’ont aidée. Il m’a conseillé de me plonger dans le travail pour oublier mes difficultés du quotidien. Je prenais des antidépresseurs. Mais c’est surtout le fait de partir qui m’a sauvée. J’ai quitté la région où mon ex-mari habitait, je ne l’ai pas revu depuis 3 ans malgré une procédure de divorce très conflictuelle.
Aujourd’hui encore, bien que j’aille mieux, une simple phrase ou un refus de payer la pension de sa part, me replonge cinq ans en arrière. Quand j’y repense, j’allais très mal, mais peu de personnes l’ont vu ou voulu voir. Ma sœur m’a même dit un jour : ‘Qu’est-ce que tu donnes bien le change !’ Je pense que, de toutes façons, nous sommes toujours seuls face aux difficultés. Et que le passage à l’acte tient à si peu de choses….
Jennyrebecca : « J’ai pris de la distance par rapport à mon traumatisme »
En trois ans, j’ai tenté cinq fois de me suicider. Cela fait un peu plus d’un an que l’envie m’a quittée. J’ai fait ces tentatives car la vie m’était devenue insupportable. Je n’arrivais pas à accepter l’inceste que mon père m’a fait subir, quand j’étais petite. J’avais des flashs des agressions, du viol. Quand je regardais ma fille, je me revoyais à son âge et je me demandais comment il avait pu faire ça. J’ai enduré trois ans de torture psychique.
Parmi les cinq tentatives, trois n’ont pas réussi, et j’ai été sauvée pour les deux autres. La première fois, mon mari m’en a empêchée. La seconde, ce sont les gendarmes qui, par miracle, se trouvaient sur ma route et ont fait un contrôle d’alcoolémie. Cette fois là, j’avais mélangé alcool et médicaments et j’étais bien décidée.
Je ne désire plus mourir depuis plus d’un an. J’ai fait du chemin en thérapie. J’ai pris de la distance par rapport à l’inceste que j’ai subi et je vais prochainement porter plainte contre mon père. J’ai un combat à livrer contre mon abuseur, il ne faut pas que cela reste dans l’oubli. De plus, il y a ma fille et mon mari, qui sont tout pour moi. Ma thérapeute m’a beaucoup aidée ainsi qu’une victimologue qui m’a suivie pendant plus d’un an. Mon mari aussi ne m’a jamais lâché la main. Et ma fille a retrouvé le bonheur, car elle voit que sa maman va mieux.
Cependant, je reste fragile et je suis encore en dépression sévère. Il me faut encore du temps pour accéder au bonheur, mais j’ai retrouvé le goût de vivre et c’est déjà un grand pas.
Patricia : « Mon mari et mes enfants m’ont donné l’envie de guérir »
Un jour, j’ai fait un « burn out ». J’étais aide-soignante et mon travail ne correspondait pas à ce que j’avais appris pendant ma formation. Sur le plan relationnel, j’avais l’impression d’être à l’usine. Le manque d’humanité était intolérable. J’ai commencé à avoir la tête remplie d’idées qui tournaient sans cesse. Je n’avais jamais de repos. Je ne dormais plus alors que je n’avais envie que de cela, pour arrêter de penser. J’absorbais tout ce qu’on me racontait. Et surtout, toutes les souffrances de mes amis, de mes patients. À bout, j’ai fini par faire deux tentatives de suicide. Je me suis mutilée et j’ai pris une quantité importante de médicaments.
Ce qui m’a permis, dans un premier temps, de continuer à vivre, ce fut le soutien de mon mari. Il était là, simplement. Il venait me voir tous les jours en maison de repos. Il faisait tout à la maison, il s’occupait des enfants tout en travaillant et me faisait sortir. Il m’a donné ce que je n’avais pas reçu : de l’attention et de l’amour. Mes enfants aussi m’ont donné l’envie de me battre. J’ai fait une thérapie, j’étais suivie par un psychiatre, un psychologue, j’ai fait des séances de relaxation au centre médico-psychologique de ma ville. J’ai mis dix ans à remonter la pente avec des hauts et des bas. Et petit à petit, je suis revenue, j’ai commencé à pouvoir accepter de vivre. J’ai parfois encore des idées de lâcher-prise, mais je n’aurais plus la capacité de passer à l’acte.
Pour revivre après une dépression et deux tentatives de suicide, il faut prendre son traitement, avoir une certaine hygiène de vie et suivre une psychothérapie. On ne guérit pas d’un coup, c’est très long. Un jour, on arrive à lire un livre puis à regarder un film en entier. Longtemps après, on prévoit un week-end et puis des vacances. Enfin, on peut reprendre un travail, différent, bien sûr. Et petit à petit, la vie reprend son cours.
Ignorante : « Je me reconstruis avec mon psychiatre »
J’ai fait, par le passé, plusieurs tentatives de suicide. Mais depuis 3 ans, rien, des crises d’anxiété ou des conflits me donnent encore l’envie de passer à l’acte, mais je m’y refuse. Je me souviens alors de ma dernière tentative de suicide où j’ai passé une semaine dans le coma. Je vais donc sous ma couette et j’attends un jour meilleur.
La vie sur terre m’était devenue intolérable, trop douloureuse et j’étais en pleine dépression dite sévère. Je prenais des antidépresseurs. Actuellement, je prends uniquement des anxiolytiques et je suis suivie par un psychiatre.
De leur côté, mon entourage, mon mari et ma fille, n’ont pas été aidés lors de mes tentatives de suicide. Ils ont fait comme ils ont pu mais aussi tout le contraire de ce qu’il fallait faire (me laisser en clinique, et à mon retour, partir en vacances !). Ils ne comprenaient pas vraiment ce que je vivais. Pour eux, j’étais trop gâtée, j’avais tout ce que je voulais. Maintenant, je les comprends. Ils n’avaient pas vécu mon enfance.
Je n’ai jamais été aimée par ma mère (je suis un accident). À 7 ans, j’étais placée dans une famille d’accueil, violée par les enfants ados de ladite famille, qui menaçaient de tuer ma mère si je parlais… Une tentative de suicide, ce n’est pas contre les autres, c’est uniquement un outil pour éviter de souffrir à un moment donné.
Si mon entourage avait été plus à l’écoute, je ne serais peut-être pas passée à l’acte. Les soignants ont, pour moi aussi, leur part de responsabilité. Ils n’ont pas pris le temps d’expliquer la dépression et ses conséquences à mes proches.
À ce jour, j’ai rompu les liens avec ma mère et je me reconstruis avec mon psychiatre.
Jeanine33 : « Je ne recommencerai pas par égard pour ma famille qui m’aime et que j’aime »
Une fois, une seule fois, je suis allée jusqu’au bout. Pour moi, ce n’était pas une tentative de suicide. Juste la volonté de mettre fin à une trop grande souffrance. Je voulais rejoindre mon fils décédé cinq mois plus tôt : le voir, savoir s’il allait bien, s’il était heureux dans son nouveau monde…. Et puis revenir dans le monde des vivants avec mon mari et mes filles…
Mais j’avais un peu trop forcé sur les médicaments et l’alcool, et mon mari m’a retrouvée inerte, allongée dans la salle à manger, mais pas complètement inconsciente… Direction l’hôpital. Je ne féliciterais pas les infirmiers qui ont été plutôt désagréables avec moi. Le psy de l’hôpital a dit à mon mari et ma fille que je faisais une dépression « cachée ». Je devais faire une thérapie.
A mon réveil, à voir les regards hagards de mes proches, j’ai juré que jamais plus je ne recommencerais. C’était il y a 5 ans. J’ai fait une thérapie de 18 mois, pris des antidépresseurs pour m’aider… Aujourd’hui, j’ai arrêté les médicaments qui m’empêchaient de trop souffrir mais me mettaient la tête en vrac, et m’empêchaient donc aussi de réapprendre à vivre avec mon mal. Je sais que rien ne pourra enlever cette souffrance qui vit en moi. J’ai appris à vivre avec, à l’apprivoiser. Mourir ne me fait pas peur, plus peur ; j’ai toujours en moi cette idée de ma mort.
Mais je sais que plus jamais je ne recommencerai à attenter à ma vie par égard pour ma famille qui m’aime et que j’aime. Même si vivre est devenu si difficile parfois pour moi…..
Kattia : « L’amour de ma mère me retient »
J’ai eu envie de me suicider car je n’arrivais pas à supporter ce qui m’était arrivé. J’étais une enfant heureuse avant que mon grand frère ne commence à me battre.
Il y a quelques mois, j’étais encore plongée dans une dépression, je pensais que rien ne pouvait enlever ma souffrance à part le suicide.
Mais ce qui m’a retenue, et me retient toujours, c’est la douleur de ma mère si je mourais. Je suis certaine qu’elle n’arriverait pas à vivre sans moi…
Je ne recommencerai pas parce que ma vie s’est considérablement améliorée et j’attends un peu de positif de mon avenir. Malgré tout ce qui est arrivé, j’ai encore un peu d’espoir. Je me dis que j’ai assez souffert pour toute ma vie, et donc que le reste devrait être agréable, sinon normal.
Je dois la vie à mes amis et à ma mère qui m’a conduite à l’hôpital de trop nombreuses fois. J’ai eu besoin de neuf ans pour pardonner à mon frère. Au début, je pensais non seulement que c’était impossible, mais aussi que je n’en avais pas besoin pour guérir. Je restais sceptique lorsque je lisais que « pardonner, c’est se libérer ».
En fait, je l’ai fait très spontanément, presque sans vraiment m’en rendre compte. Je lui ai dit que le passé était le passé, ce qui m’a aidé à aller beaucoup mieux.
Aujourd’hui, j’ai gardé des comportements défensifs, que j’utilisais lorsque j’allais mal, et que je dois éliminer. Cela va prendre du temps mais je reste confiante.
Kikou46 : « Je m’occupe avec quelqu’un pour me changer les idées »
L’idée du suicide m’est venue suite à des problèmes personnels et professionnels. Et un jour, je suis passée à l’acte sans m’en rendre compte. Mais un moment de lucidité m’a permis d’appeler à l’aide.
La deuxième fois, je ne m’en souviens pas. J’étais chez une amie, puis je me suis réveillée à l’hôpital. Entre ces deux moments, je n’ai aucun souvenir.
Troisième tentative. Chaque fois que je prenais un comprimé, je traçais une barre sur un bout de papier. Quand mon frère m’a retrouvée, j’en étais à 35.
Chaque tentative de suicide m’échappait. C’est comme si mon esprit ne m’appartenait plus. C’est effrayant.
Avant ces tentatives, je me faisais suivre par une psychologue et mon médecin traitant. J’ai aussi effectué une hospitalisation en clinique psychiatrique. Depuis ma sortie, je les vois toujours.
Ma « survie » dépend des séances chez ces médecins et des médicaments. La lutte est permanente. C’est usant.
Pour mes proches, c’est l’angoisse. Quand je suis en retard ou que je ne réponds pas au téléphone, ils s’inquiètent. Il faut rétablir une confiance bien émaillée par ces trois tentatives de suicide.
Aujourd’hui, quand je sens que je risque de déraper, j’essaie de trouver une occupation avec quelqu’un. Il peut s’agir d’une simple balade ou d’un travail manuel mais dans tous les cas, quelque chose que je ne fais pas seule et qui me change les idées.
Numéros d’urgence:
Suicide écoute : 01 45 39 40 00
SOS Suicide Phénix : 01 40 44 46 45
La Porte ouverte : 0 800 21 21 45
SOS Chrétiens à l’écoute : 01 45 35 55 56
SOS Dépression : 08 92 70 12 38
Fil Santé Jeunes : 32 24
Cap Ecoute : 04 72 33 34 35
Urgences médicales
Samu : 15
Police : 17
Tempusfugit : « Le respect de Dieu m’a freinée »
J’avais 18 ans, et un énorme poids de pression sur les épaules – autant scolaire que social et familial -, que je ne supportais plus. J’étais décevante partout alors qu’auparavant, je réussissais brillamment.
Décevante surtout pour moi-même. J’intériorisais toute la colère que j’avais accumulée durant ces dix-huit ans à être sage, bonne à l’école et en sport, polie, parfaite. Mais toute cette colère s’est retournée contre moi. Je me sentais inutile, indésirable et dérangeante pour tout le monde.
J’étais sur le point de mettre un terme à ma vie.
Je me souviens avoir passé en revue toutes les personnes que je croyais ne pas être dérangées par ma mort. Mais il m’est venu en tête quelqu’un que cela aurait pu contrarier, et cela m’a surprise : c’était Dieu.
Je me suis alors sentie honteuse de vouloir faire cela. Je ne suis pas pratiquante, j’ai juste fait ma communion. Mais c’est le respect que j’avais pour ce qui est supérieur à moi qui m’a freinée.
Avec le temps, j’ai pu remonter la pente. Un temps d’isolement, de prise de recul, de prise de risques, et d’échec scolaire (qui, paradoxalement, m’a fait un grand bien).
Enfin, j’ai suivi une thérapie suite à quelques crises de panique avec tachycardie, où j’ai appris à travailler l’acceptation de moi-même et surtout, la résilience.