La dépression serait liée au taux d’inflammation dans l’organisme
Par Coralie Lemke le 20.05.2021 à 15h25
Une nouvelle étude massive démontre que les personnes qui souffrent de dépression ont un taux d’inflammation plus élevé dans leur organisme que les personnes qui n’en souffrent pas. Une découverte qui pourrait mener à de nouveaux traitements.
Les troubles dépressifs font partie des maladies psychiatriques. Paradoxalement, ils pourraient être partiellement déclenchés par des réactions dans l’organisme. Une récente étude montre que les personnes souffrant de dépression ont un taux d’inflammation dans le corps plus élevé que celles qui n’en souffrent pas. L’inflammation est l’une des réactions de défense du corps humain. Elle correspond à la réaction du système immunitaire lors d’une agression externe – comme une infection ou une allergie – ou interne (par exemple les cellules cancéreuses). L’organisme peut aussi présenter une inflammation chronique en réponse à des facteurs environnementaux ou liée à l’hygiène de vie, tels que la pollution ou une alimentation déséquilibrée. Lorsqu’elle n’est plus régulée, l’inflammation constitue alors un facteur dans le développement de certaines maladies, à l’instar de l’obésité ou des maladies cardiovasculaires. Ces travaux du King’s College de Londres viennent corroborer une thèse déjà évoquée ces dernières années. L’étude a fait l’objet d’une publication dans l’American Journal of Psychiatry.
Des taux élevés de protéine C-réactive dans le sang
L’équipe du King’s College a comparé les caractéristiques médicales et génétiques de 26.894 personnes à qui une dépression a été diagnostiquée au cours de leurs vies, avec celles de 59.001 personnes n’ayant aucun historique de cette maladie. Tous font partie de l’UK Biobank, une immense base de données anglaise qui contient les données de santé de plus d’un million de personnes. Concrètement, l’équipe s’est servie d’échantillons sanguins, de données génétiques ainsi que de questionnaires sur la santé mentale pour essayer de trouver des variations communes aux personnes souffrant de dépression. Ils se sont aperçus que les patients à qui une dépression avait été diagnostiquée présentaient des niveaux plus élevés de protéine C-réactive (CRP) dans le sang.
Indice de masse corporelle, consommation de tabac et d’alcool
La protéine C-réactive, un marqueur d’inflammation dans le sang, a également été retrouvée chez les anciens patients dépressifs qui ne traversaient pas d’épisode dépressif au moment du prélèvement sanguin. En moyenne, les personnes dépressives présentaient 2,4 mg par litre de CRP contre 2,1 pour ceux qui ne présentent pas cette maladie. 21,2% des patients dépressifs présentaient même des taux supérieurs à 3 mg/L. En comparaison, seuls 16,8% des personnes non diagnostiquées affichaient des niveaux aussi élevés. En conséquence, les chercheurs en tirent la conclusion qu’il y a une association entre dépression et inflammation, même si un grand nombre de personnes à qui une dépression n’a jamais été diagnostiquée présentaient aussi des niveaux de CRP élevés. Mais tous les spécialistes ne sont pas du même avis quand à l’interprétation des résultats. « Ces analyses ont montré que la CRP était associée à la dépression. C’est une découverte importante. Cependant, la différence de CRP entre les personnes déprimées et non dépressives est cliniquement significative« , déclare Sherwood Brown du Southwestern Medical Center de l’Université du Texas au New Scientist.
L’équipe s’est aussi penchée sur l’hygiène de vie des participants, en prenant en compte leur indice de masse corporel (IMC), leur consommation de tabac ou d’alcool, et ont constaté que ces facteurs pouvaient partiellement contribuer à augmenter l’inflammation. Pour le moment, impossible de savoir si ce taux d’inflammation possède une origine génétique, et induirait donc une prédisposition à la dépression, ou si la dépression mène à des comportements qui favoriseraient une élévation de l’inflammation. Certains spécialistes portent d’ailleurs un regard critique sur ces travaux. « Cette étude confirme que les niveaux de CRP, un marqueur de l’inflammation, ont tendance à être un peu plus élevés chez les personnes qui déclarent être déprimées à un moment de leur vie. Cependant, cette découverte n’est pas nouvelle », estime David Curtis, professeur honoraire à l’UCL Genetics Institute de Londres auprès du Science Media Center. « Il existe un certain nombre de raisons possibles à l’association. Des maladies particulières ou des situations indésirables pourraient par exemple augmenter le risque de dépression et conduire à une inflammation accrue : cette étude ne permet pas vraiment de tirer des conclusions définitives concernant de telles relations. Je doute que l’inflammation ait un rôle clé dans la cause de la dépression et je ne suis pas sûr que la présente étude ajoute beaucoup à notre compréhension de la dépression. »
Maladies mentales et inflammation : le rôle des cytokines
Impossible en l’état d’établir si l’inflammation est véritablement la cause de la dépression. Mais il semble bien qu’il existe des liens entre maladies mentales et inflammation, comme l’ont montré des travaux par le passé. C’est ce qu’avait par exemple déjà mis en exergue la Française Marion Leboyer, responsable du pôle de psychiatrie et d’addictologie des hôpitaux universitaires Henri-Mondor à Créteil (Val-de-Marne) et directrice de la fondation FondaMental. « Nous estimons que 40 % des patients souffrant de pathologies psychiatriques souffrent d’une inflammation de bas niveau, c’est à-dire sans les symptômes mais avec des concentrations faibles de marqueurs de l’inflammation », explique la chercheuse à Sciences et Avenir (lire le numéro 871, daté septembre 2019). Pourtant, « tout le monde ne déclenche pas, bien sûr, une inflammation chronique puis une maladie psychiatrique après avoir contracté une infection, nuance la chercheuse. Les sujets à risque sont très probablement porteurs de spécificités génétiques au niveau de leur système immunitaire qui les rendent plus vulnérables lors d’une infection. À cela s’ajoutent d’autres facteurs environnementaux que sont une mauvaise hygiène de vie et le stress. »
L’inflammation dans le corps engendre la production de molécules pro-inflammatoires, appelées les cytokines. Elles sont chargées de coordonner la réponse immunitaire dans l’organisme. Lucile Capuron, directrice de recherche à l’Inra, a beaucoup travaillé sur leur rôle dans la dépression. La chercheuse s’est aperçue que les cytokines altèrent dans le cerveau les voies de production de certains neurotransmetteurs, comme la sérotonine, qui régulent l’humeur. « L’inflammation produit une enzyme (IDO) qui perturbe la production de sérotonine. Le tryptophane [l’acide aminé précurseur] n’est plus transformé en sérotonine mais en kynurénine, un composé qui engendre alors la production de substances neurotoxiques« , explique-t-elle à Sciences et Avenir. Le manque de sérotonine et la présence de ces substances délétères pour les neurones faciliteraient donc l’apparition d’un épisode dépressif.
Ces résultats restent en tout cas insuffisants pour mettre en place de nouveaux protocoles de traitements, avec des médicaments anti-inflammatoires par exemple. « En plus de n’avoir aucun effet prouvé sur la dépression, ces médicaments ont des effets secondaires dangereux tandis que les antidépresseurs sont sûrs et efficaces. Les médicaments anti-inflammatoires seraient responsables de plusieurs milliers de décès chaque année aux États-Unis« , explique David Curtis. Avant de savoir quels leviers actionner pour réduire l’inflammation, le mécanisme doit d’abord être mieux compris par la science à l’aide de plus amples études.
Science et avenir mai 2021